Faut-il se méfier du pékan? Ou s’agit-il simplement d’une crainte née de l’imagination?

Dans le billet d’aujourd’hui, Tim Tully, naturaliste en chef au parc provincial Awenda, s’attaque (pas littéralement) à une bête terrifiante.

En Amérique du Nord, peu de prédateurs souffrent d’une plus mauvaise réputation que ce membre de taille moyenne de la famille des belettes.

En effet, les pékans ont la réputation d’être méchants et combatifs – des bêtes diaboliques dont les aptitudes sociales sont encore plus déficientes que celles du Grincheux qui voulait gâcher Noël.

De même, bien des gens ne peuvent résister à la tentation de raconter, en exagérant la gravité des faits, le récit macabre d’une rencontre avec un prédateur – une tradition qui remonte probablement à une soirée autour d’un feu de camp à l’âge de la pierre.

Tout le monde a une anecdote de type « avez-vous entendu l’histoire de… » à propos de ce mammifère mal aimé. Mais dans quelle mesure l’histoire du pékan s’est-elle éloignée de la réalité écologique?

Attention aux pékans!

Un incident récent dans le parc m’a amené à repenser à mes expériences personnelles avec le pékan et à examiner attentivement ce que j’ai appris sur cette espèce, dans une tentative impartiale de distinguer la réalité de la fiction.

Au début du mois de septembre dernier, un habitué du parc Awenda s’est présenté au bureau du parc pour faire savoir qu’il avait vu un pékan dans la zone basse des lieux. Il nous a raconté son histoire avec enthousiasme et nous a montré une vidéo de sa rencontre de près avec cet habitant rarement vu de la forêt.

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Lorsqu’on lui a demandé quelle était la taille de l’animal, il a rapidement montré, avec ses mains, des proportions sorties tout droit d’une histoire de pêche, ce qui nous a fait penser qu’il s’agissait d’un mâle adulte. Les pékans mâles, dont la longueur peut atteindre jusqu’à 3,5 pieds, mesurent souvent plus d’un pied de long que les femelles.

Le lendemain, on nous a signalé la présence d’un animal bondissant et ressemblant à un chat qui longeait la périphérie de la zone First Beach. Était-il malade ou blessé?

Inquiets, nous sommes allés voir par nous-mêmes et avons trouvé le pékan en question, en train de ronger tranquillement un os à l’extrémité ouest de la plage.

Lecteurs : soyez tranquilles

Aucun campeur n’a été dévoré lors de cet incident.

Au lieu de cela, nous avons trouvé un curieux animal qui zigzaguait d’une serviette de plage à l’autre, sous les yeux d’un groupe d’observateurs, le tout ponctué, à l’occasion, par une personne battant en retraite à toute vitesse à la vue du pékan qui s’avance vers elle.

fisher

L’animal en question s’est avéré être un jeune pékan, probablement tout juste sevré ou séparé de sa mère. Il se déplaçait maladroitement, bondissant comme un ressort animé, tout en faisant des changements de direction et des esquives rappelant un porteur de ballon au football.

Son corps élastique ne mesurait pas plus de 20 pouces de long, de son nez en forme bouton jusqu’à l’extrémité de sa queue brun chocolat. Ses pattes surdimensionnées m’ont fait penser à un chiot golden retriever qui attend que son corps prenne sa taille d’adulte.

Ce n’était pas un pékan tueur!

À la recherche de quelque chose à manger

Le jeune pékan semblait s’être lancé dans une quête désespérée. Il avait probablement eu le bonheur de se voir donner de la nourriture peu de temps auparavant et revenait simplement pour en avoir encore.

Les pékans sont des prédateurs sans préférence notable qui arrêtent leur choix sur toute proie vivante qu’ils peuvent attraper, y compris les lapins, les lièvres, les petits rongeurs, les oiseaux et leurs œufs, les ratons laveurs, les reptiles, les amphibiens et, à l’occasion, les animaux domestiques.

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Compte tenu de son régime alimentaire, le pékan porte mal son nom anglais, soit le « fisher » (ce qui signifie « pêcheur »), car il ne pêche pas activement le poisson!

De même, les pékans fouillent régulièrement dans les poubelles. Ils ne manqueront pas une occasion de mettre le nez dans une benne à ordures, une poubelle ou une glacière portative pour trouver de la nourriture de choix. Une raison de plus pour garder les aliments dans un endroit sûr en camping et d’éviter de nourrir les animaux sauvages du parc!

J’ai revu l’animal en question quelques jours plus tard; il semblait guidé par son nez inquisiteur et chercher les odeurs susceptibles de le mener à son prochain repas. Les pékans sont connus pour parcourir cinq kilomètres par jour afin de satisfaire à leurs besoins énergétiques dignes d’un être hyperactif.

Puis, tout naturellement, le jeune pékan a disparu dans la forêt de basses terres, sans jamais être revu.

Rarement vus

Les pékans sont de petits animaux qu’il est difficile d’observer.

Ils ont tendance à être actifs dans une lumière relativement faible, à l’aube et au crépuscule; les gens les rencontrent rarement pendant les heures où la lumière du jour prévaut.

Sur les 150 000 visiteurs annuels au parc provincial Awenda, seuls quelques-uns rapportent avoir vu l’animal. Le plus souvent, lorsqu’une personne tombe sur un pékan, elle indique avoir vu « un petit ours ».

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Les pékans mâles patrouillent sur un territoire de 9,2 kilomètres carrés, tandis que les femelles le font sur 2,3 kilomètres carrés. Avec une superficie de 6 kilomètres carrés, la forêt mature du parc Awenda ne peut fournir qu’un habitat suffisant pour abriter le territoire d’un mâle et d’un mâle et une femelle qui sont ensemble.

Je travaille dans le parc depuis 3 décennies et, pendant cette période, j’ai vu moins de 5 pékans. La plupart du temps, j’aperçois pendant 2 ou 3 secondes un petit animal discret qui traverse sans s’attarder une route du parc.

En réalité, je passe beaucoup plus de temps à parler aux gens des pékans qu’à entendre des récits dans lesquels on en a vus.

À propos de la rumeur sur les chats

Les pékans sont des chasseurs opportunistes et, si l’occasion se présentait de le faire en toute sécurité, ils pourraient, techniquement, choisir de dévorer un félin domestique.

Maintenant, avant de tirer toute conclusion hâtive, il vous faut prendre en compte l’étude réalisée en janvier 2000 par le ministère des Richesses naturelles et des Forêts (MRNF).

On avait alors analysé le contenu de l’estomac de 25 pékans et, bien qu’on y ait vu quelques aliments intéressants (charogne de cerf, raton laveur, serpent et même d’autres pékans), les résultats ont révélé qu’aucun chat n’avait figuré au menu.

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De même, lors d’une autre étude, on a trouvé des restes de chat dans l’estomac d’un seul pékan sur 1 000. Les prédateurs les plus probables du chat sont le grand-duc d’Amérique, le coyote et le renard roux.

Il semble qu’il y ait eu une erreur de justice naturelle – un verdict de culpabilité sans preuve scientifique substantielle!

Cela dit, c’est l’occasion de vous rappeler que même s’il est fort peu probable que votre animal devienne le prochain repas d’un pékan, n’oubliez pas de tenir en laisse dans les parcs (oui, les chiens et les chats!).

C’est un oiseau! C’est un avion! C’est…

Passons maintenant aux choses sérieuses et aux pékans volants. Selon une histoire qui perdure, le MNRF aurait favorisé l’explosion de la population de pékans dans le sud de l’Ontario en transportant par avion un très grand nombre de ces animaux dans des régions où ils n’étaient pas établis auparavant.

Cette rumeur tire probablement son origine de l’introduction de pékans aux États-Unis il y a plus de trente ans; plus précisément, ils avaient alors été réintroduits depuis l’Ontario pour contrôler les populations surabondantes de porcs-épics.

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En Ontario, de petits nombres de pékans ont été réintroduits dans la région de Parry Sound (1957-1963), de même que sur l’île Manitoulin et la péninsule de Bruce (1979-1982).

Les populations de pékans dans ces régions avaient presque été éliminées par la perte d’habitat, l’empoisonnement intentionnel et la pression du piégeage, le tout ayant gagné en intensité dans les années 1920.

Les pékans réintroduits provenaient d’une population plus saine, depuis le parc provincial Algonquin.

Les résultats de l’analyse de l’ADN local ont montré que les animaux qui ont survécu n’étaient pas apparentés à ceux réintroduits et qu’ils avaient probablement des origines génétiques locales. De même, lors d’une étude récente, on a examiné les statistiques de réintroduction et l’on a constaté que 14 des 30 démarches de réintroduction de pékans nord-américains (47 %) n’avaient pas permis d’établir des populations viables.

Le sud de l’Ontario fait partie de l’aire de répartition historique des pékans. Ils préfèrent les forêts mixtes matures avec de grands arbres à cavités, des sous-bois denses et un mélange de zones boisées, de zones humides et de champs ouverts.

La raison du rebond de leur population est beaucoup plus simple que le récit exotique de leur transport par avion.

Les prix des peaux de pékan ont connu une forte baisse, passant de 400 $ dans les années 1980 à des taux de 25 $ à 30 $ par peau récemment. Les trappeurs sont moins nombreux à entretenir des lignes de piégeage dans les régions du sud et l’habitat forestier mature s’est lentement reconstitué depuis les années 1950, époque à laquelle les pékans étaient rares.

Un spectacle réjouissant

C’est un coup de chance que les pékans aient réussi à rebondir dans le sud de l’Ontario sans intervention humaine.

Au parc provincial Awenda, ils représentent des prédateurs importants dans l’écosystème et jouent un rôle majeur dans le contrôle des populations de rongeurs (sans oublier qu’ils assument la fonction utile de nettoyeurs de rues écologiques!)

La prochaine fois que vous verrez un pékan, évitez d’agiter un doigt accusateur et de vous fier aux récits de fiction populaires.

Privilégiez plutôt les faits scientifiques et profitez de la chance de voir un prédateur rare et inhabituel à l’appétit opportuniste!

Avez-vous un peu plus de sympathie maintenant pour celui que l’on considère à tort comme une bête diabolique de la nature?